PINK LADY (2015)

En nous donnant rendez-vous, Rose a dit « vous ne me reconnaîtrez pas, j’ai pris dix ans depuis dix ans ». C’était soit plein d’autodérision, soit bourré d’humilité. En fait, c’était les deux. Rose n’a pas bougé, même acier dans le regard, même allure de jeune fille, même vérité dans le rire. Pourtant, elle n’a pas vraiment tort. Il y a quelque chose de changé chez la chanteuse qui, à 27 ans, nous entêtait avec La liste, en boucle dans les oreilles, en stéréo dans la tête et celle qui nous entraîne dans son nouvel album Pink Lady. Une touche plus rock, un air plus grave. Ce rose-là n’est pas pastel, il est profond. En quelques années, elle a détourné la couleur.

Il faut dire qu’entre temps, Rose a appris à se connaître. Assidûment, vraiment, « un mardi par semaine ». Si ce disque-là n’a pas été une thérapie, il s’est fait tout autour d’elle. Cette démarche, elle la déroule pour nous, sur quelques titres. Pour laisser cet Avant derrière, abandonner ces moments où Atone – vrai pivot de l’opus – elle se laissait vivre des passages à vide toujours plus denses, toujours plus longs, elle se penche sur elle, se décortique. C’est contre-nature, ça fait souffrir, et un jour, vient la révélation, ce sentiment d’en avoir fini avec elle. À la psy, elle dira, Je ne viendrai pas demain. À croire qu’à 27 ans, on fait des listes et qu’à 37, on a les clés.

Par moment, en l’écoutant, on dirait que même sa voix a mûri : un timbre un brin plus rauque, un ton plus éraillé qui se casse légèrement mais ne brise pas. Si on osait jouer sur le terrain de ses jeux de mots, on dirait qu’elle a trouvé la voix de sa maturité.

Bien sûr, elle garde quelques bribes de contrôle et de mélancolie, ses moteurs. Comme nous, elle compte toujours les jours, les calories, les clopes, l’argent qu’il lui faudrait pour vivre sans compter, les voyages qu’elle ne fait pas. Je compte c’est La liste qui aurait traversé les années. Les mots défilent en rythme, mieux écrits, plus bas, moins chantés. Elle y est moins midinette qui ne vit que pour l’amour. Cette facette obscure, c’est plus fort qu’elle. Ça tombe bien : ses imperfections, ses inconstances, la rendent plus vraie. Pour le comprendre, il suffit d’écouter Pour être deux qu’elle chante en duo avec Jean-Louis Murat. En lisant le titre – et connaissant Rose– on pouvait s’attendre à une mélodie du bonheur rêvé en couple. Non, elle a mal en tandem. Elle dévoile – presque dans un cri – l’idée inavouable que l’on peut être aussi amoureuse qu’égoïste : Je fais jamais assez de place pour tes douleurs en face. Elle a bien trop à faire avec ses misères, mais elle apprend, comme nous. Cette ambivalence, se retrouve partout chez elle. Sous des airs doux, notre Pink lady n’a rien de mielleux. Ce titre – le premier de tous – elle l’a écrit un soir de réveillon, seule au bar d’un hôtel, où elle s’est isolée le temps de trouver l’inspiration. Elle observe, So long island qu’elle n’a pas écrit. Elle s’obstine, dans sa tête c’est Bloody Mary. Se lance enfin et crée Pink Lady.

En même temps, sur la route dégagée de cet album, comme une évidence, elle rencontre le réalisateur Pierre Jaconelli (réalisateur, guitariste, et arrangeur de Benjamin Biolay, Zazie, Pascal Obispo, ou encore Johnny Hallyday…) qui habille les titres, qu’elle a tous écrits. Elle s’ouvre pour la première fois à un échange musical dense, avec des amis artistes et compositeurs tels que Medi, Loane, Auden ou Laurent Lamarca. Avec eux, elle renforce sa manière de travailler et cesse de se demander « jusqu’où va aller ma chance ? ». Rose la saisit.

Elle ne s’excuse plus de n’être bonne qu’à ça ou d’avoir une vie comme les autres. Viser l’absolu, chercher le fantasme dans le bonheur, elle sait faire. Mais trouver que l’idéal peut être normal, le quotidien sans très grands hauts et bas très bas, elle découvre. Elle regarde l’amour bancal en face, nomme les échecs par leur nom et s’en libère du même coup. D’ailleurs, celle qui chantait beaucoup son monde dans ses précédents albums (la séparation, le sombre con, le grand-père, la famille) s’aventure à raconter des histoires qui ne sont pas les siennes. Elle écrit sur les autres : la lâcheté de l’homme qui abandonne son foyer dans Maman est en bad ou de celui qui n’a jamais osé poursuivre ses rêves dans Partie Remise.

A l’écouter, on se dit qu’un jour elle écrira des nouvelles, comme elle a nourri cet album, sans noircir des pages parce qu’il le fallait. Avec la même intelligence sociale, les mêmes phrases saillantes qui font que chacun s’y reconnait. Rose sait être dedans et dehors, c’est sa force. Elle Twitte, Instagramme, Facebooke (verbe du 1er groupe) et mais ne manque pas de lucidité et de distance quand elle en parle dans son très actuel Je de société.

Rose, c’est l’histoire idéale d’une fille qui mettait des « si » partout et qui maintenant dit « en vrai » tout le temps. Finies, les prophéties. Aujourd’hui elle transforme ce qu’elle a toujours eu entre les mains : « C’est comme si j’avais de nouvelles cartes alors qu’en vrai c’est le même jeu », confie-t-elle au moment de se quitter. C’est sans doute pour ça que cet album est le plus abouti de tous.