Interview (La Libre)

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Rose et les épines

Il s’en passe des choses, sous la frange de Rose. Résultat : un deuxième album et un concert.

Difficile de trouver brin de jeune femme plus charmant, plus séduisant que Keren Meloul, plus connue sous le nom d’artiste Rose. Pourtant, Rose ne la voit pas toujours comme telle, sa vie. Transpercée des épines de l’existence. Alors que, de nos jours, on les cueille à peine en boutons, Rose éclôt à la chanson relativement tard. A 27 ans, elle publiait « Rose », un premier album folk sur fond de rupture sentimentale. Trois ans après, nouveau bris de couple. « Les souvenirs sous ma frange » n’en sont cependant pas le récit mais la conséquence sous forme de réflexion, au sens introspectif du terme. Keren a mûri, Rose avec elle, toujours très personnelle, plus pop – parfois cuivrée à la « Penny Lane », des Beatles – et la voix voilée à la clope.

Ecrite avant votre divorce, “De ma fenêtre” est une chanson prémonitoire…

Eh oui, elle laissait présager la suite malheureuse des événements, un mariage qui a dérapé en divorce après trois mois… A partir de là, on fait comme on peut pour s’en sortir. Moi, l’écriture m’aide beaucoup, ce n’est pas thérapeutique mais de l’ordre du besoin. Par rapport au premier album, ici, la rupture est en filigrane. Ça parle de tout ce dont j’ai eu besoin à ce moment-là, c’est-à-dire les souvenirs, la famille, les amis. De toutes les questions qu’on se pose à 30 ans, quand on n’ a plus ce qu’on croyait essentiel, les interrogations à propos du temps qui passe, etc. C’est assez difficile. Je suis épatée d’avoir survécu, car je me laisse facilement sombrer. Comme quoi, je dois avoir une certaine force de dernière minute.

C’est un album nostalgique ?

Oui, et pour moi c’est inquiétant, parce que j’ai toujours été une fille du présent. Mes expériences, mes erreurs, je ne m’appuyais même pas dessus. Mon futur, c’était  » on verra bien « . Quand on fume deux paquets de cigarettes, il ne vaut mieux pas penser à l’avenir. Et puis, d’un coup, on change du tout au tout, on regarde derrière pour essayer de trouver ce qui a cloché, ce qui était beau avant. Pourquoi, quand on a dix ans, on s’amuse dans l’insouciance, et quand est-ce qu’on la perd ? Et surtout, on s’interroge sur la suite des événements : est-ce comme ça que j’imaginais ma vie à 30 ans ? Du présent, on verse dans le passé et le futur, ce qui donne un peu l’impression de grosse embrouille de cet album.

La chanson “Chez moi” est l’une de vos préférées. Elle parle de votre enfance à Nice, un Eldorado ?

Oui, une enfance idyllique, que du bonheur. Mais je l’ai aussi idéalisée. Ajourd’hui, je sais que certains traits de caractère, des problèmes viennent de là. Il est difficile d’essayer de marcher sur les traces d’une mère qu’on voit parfaite, difficile d’essayer de ressembler à quelqu’un qu’on idéalise à ce point. Et puis, comme toutes les filles, des histoires avec le père : c’est soit le manque, soit l’overdose, il n’y a pas de juste milieu, c’est étrange. Maintenant, il est mon plus grand fan, mais la peur de décevoir que ça engendre chez moi est pesante.

A 18 ans, vous avez quand même quitté ce bonheur pour aller apprendre l’hébreu à Jérusalem…

C’était un peu une fuite de fin d’adolescence, je voulais être loin. Et comme j’avais des amis qui y étaient partis… Je n’ai pas choisi en fait, un peu comme tout dans ma vie. La guitare, le disque, l’amour de mon colocataire, le divorce : tout me tombe dessus, le bien comme le mal. Et je ne cherchais rien, mais maintenant bien : je crois que je vais commencer à essayer d’être pour quelque chose dans ce qui m’arrive.

Que retirez-vous de l’expérience du divorce ?

On pourrait croire que je sois écœurée de l’amour et du mariage, mais non, pas en soi. Quand quelqu’un vous regarde dans les yeux, que vous l’aimez, qu’il vous aime et vous dit qu’il veut passer le restant de ses jours avec vous, il faut être un peu con pour dire non. C’est la plus belle preuve d’amour et, au pire, voilà, je ne suis pas morte d’un divorce, ce n’est pas si grave. Par contre, quelque chose a changé pour moi. Je sais qu’il faut se marier pour les bonnes raisons, qu’il faut parler avant, car l’amour ne suffit pas. Rentrant chez nous en étant mariés, nous nous sommes rendu compte que nous n’aspirions pas du tout à la même chose. Lui pensait que ça pouvait continuer comme ça, la vie de bohème. On est artistes tous les deux, et ça va être rock’n’roll. J’ai toujours été la fille la plus rock’n’roll du monde, et ça, tout le monde peut le constater, mais me marier, moi, c’était pour avoir une famille. Enfants, être plus présent à la maison, faire des dîners. Des choses d’adultes, alors que, jusque là, nous avions vécu comme des enfants.

“Yes We Did” jette un certain regard sur l’année 2008, et Carla Bruni en prend dans les gencives…

Non, je dis « Comme si de rien n’était », ce qui est le nom de son album… C’est vrai qu’elle est arrivée dans nos vies de citoyens comme si de rien n’était, on ne l’a pas vue venir, cette demoiselle… On croyait que c’était une blague, à la base. C’est juste un constat, je n’ai aucun avis politique malheureusement. Après, il y a des choses qui vous tiennent à cœur. Etant de confession israélite, mon cœur penche pour Israël, où j’ai de la famille. Mais je ne m’engagerais jamais pour quoi que ce soit, par rapport à la guerre par exemple. Chez moi, je n’ai jamais entendu dire du mal des arabes. D’abord, les arabes et les juifs en France, ça n’a rien à voir avec le problème israélo-palestinien. Les gens font un amalgame de tout.

La question palestinienne reste pendante depuis des décennies…

Je ne vois aucun moyen pour que ça s’arrête. Un des espoirs de paix, c’était Rabin, et il a été assassiné par un juif… De l’autre côté, si un Palestinien s’engage un peu trop amicalement avec les Israéliens, il va se faire trancher la gorge. Le vrai problème, c’est que cette parcelle de territoire vit le diktat de l’orthodoxie des deux côtés. Ce ne sont pas les gens modérés qui agissent, tout le monde veut la paix, mais ce sont des fous, autant les kamikazes qui font sauter les bus que les juifs accrochés à certains territoires.

Quelles sont vos lectures ?

Je ne lis plus beaucoup depuis que je fais ce métier, c’est quand même triste. On est toujours sur Internet ou on rigole en groupe sur la tournée. Donc je reviens aux classiques, Romain Gary, « La promesse de l’aube », et là je suis sur « Clair de femme ». A l’époque du bac, mon livre préféré était « Madame Bovary ». Je me sens toujours être une Emma Bovary en puissance, toujours en mal d’amour, et puis très vite dans l’ennui, la lassitude. Il y a un romantisme en moi…

Propos recueillis par Dominique Simonet

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